WINTZENHEIM . SOEURS

Wintzenheim 1939-1945 : Chronique des Sœurs enseignantes


De 1913 à 2002, la Communauté des Sœurs enseignantes de Wintzenheim a tenu une "Schul-Chronik für die Mädchenschule", une chronique scolaire de l'école de filles. Elles y ont consigné les moments forts de la vie de leur communauté, les arrivées et les départs de religieuses, les résultats scolaires de leurs élèves. Mais ces pages manuscrites décrivent aussi les événements qui ont marqué la cité pendant les années sombres de la Seconde Guerre Mondiale. Voici la retranscription de ces textes concernant la période 1939-1945 :

28.09.1938 : Nous revivons les heures tragiques de 1914. Les départs des soldats sont partout très nombreux et, à chaque instant, on s'attend à la déclaration de guerre. Mais le Bon Dieu nous préserve de ce malheur, grâce à l'héroïque offre de sa vie de notre Saint Père le Pape Pie XI, pour la paix. Par radio nous entendons le Saint Père parler d'une voix oppressée par la douleur que lui causerait une nouvelle guerre.

04.10.1938 : Un régiment de soldats cantonnent à Wintzenheim. Une alarme de guerre le fait évacuer vers le front, au milieu de la nuit. Le "miracle de la paix" s'étant réalisé, le dit régiment revient dans notre village, le visage rayonnant de joie, les fusils garnis de fleurs, sous les acclamations émues des enfants, du personnel enseignant et de toute la foule.

12.06.1939 : 17 fillettes passent le Certificat d'Études. Toutes réussissent ; trois élèves obtiennent la mention "Très bien", cinq, la mention "Bien", et les autres "Assez bien".

10.08.1939 : Un nouveau foyer à gaz, fort commode, est installé dans notre cuisine. Valeur : 1700 F.

01.09.1939 : Déclaration de la guerre. Les villes et villages situés sur la frontière du Rhin et sur la ligne Lauterbourg-Thionville sont évacués. Les réfugiés, très éprouvés, s'établissent dans les départements : Charente, Haute-Vienne, Dordogne, Lot-et-Garonne, Landes.

21.09.1939 : Les sœurs d'école reçoivent des masques à gaz ainsi que les autres habitants, les enfants d'école y compris.

Masque à gaz français avec son étui (coll. Musée de la Poche de Colmar, photo Guy Frank, 28 août 2005)

23.09.1939 : Sur l'ordre de Mr le maire, les sœurs confectionnent des masques à gaz pour les enfants ayant l'âge de 1 à 5 ans. Chaque masque est formé de 5 couches d'ouate interposées de 4 couches minces de poussière de charbon de bois (50g) mêlé de bicarbonate de soude (25g). Un petit sac d'étoffe très peu serrée enveloppe le tout.

23.09.1939 : L'artillerie lourde de Belfort cantonne à Wintzenheim. L'infirmerie est installée à l'école maternelle. Une sentinelle fait bonne garde auprès des grands canons à longs tuyaux répartis dans le village.

27.10.1939 : La rentrée des classes est retardée. Elle n'a lieu que le 27 octobre quand les mesures de sécurité ont été prises (tranchées, abris). La 2e et la 3e classe se tiennent dans les salles des écoles maternelles. Ces dernières sont établies à la Crèche. Les classes des garçons sont réparties dans différents locaux du village : salle des nourrissons, hôtel de la brasserie, cercle catholique.

08.11.1939 : Dans la salle de la 3e classe des filles, il y a un dépôt de masques à gaz. Petits et grands se fournissent de cet appareil protecteur.

24.11.1939 : Les élèves de la 1ère classe font une quête pour le "Tricot du soldat". Sœurs et grandes élèves tricotent avec ardeur des chaussettes, mitaines, passe-montagnes... pour les chers défenseurs de la Patrie.

10.03.1940 : Notre cuisine est embellie d'une belle cuisinière beige à garniture nickelée ainsi que de trois casseroles solides en aluminium.

16.03.1940 : Garçons et fillettes parcourent l'endroit (la commune) et récupèrent la ferraille gisant depuis des mois et des années dans les hangars, jardins et fossés. Un monceau énorme se dresse dans la cour d'école.

21.03.1940 : Des camions militaires emportent la ferraille à la gare de Colmar d'où elle est expédiée dans les usines.

15.04.1940 : L'école de filles accepte l'office de marraines de deux soldats combattants déshérités. Les enfants leur écrivent de gentilles lettres et on les réjouit par l'envoi de colis mensuels. Pour entretenir cette bonne oeuvre, les écolières s'empressent d'apporter chaque semaine de leurs sous économisés. Les grandes classes, prises d'enthousiasme, ramassent encore de la ferraille, la conduisent par charretées à la gare de Turckheim où elle est vendue. Le montant de la vente s'élève à 350 F.

10.05.1940 : Le matin, de bonne heure, la ville de Colmar est endommagée par des bombes allemandes. Heureusement, aucune victime n'est à signaler. Des alertes nombreuses effraient presque tous les jours la population de Wintzenheim, c'est que des avions ennemis survolent fréquemment l'endroit.

29.05.1940 : Le Certificat d'Études a lieu à Wintzenheim. 21 fillettes le passent avec succès. Mentions obtenues : 1 Très bien, 6 Bien, 14 Assez bien.

15.06.1940 : Toutes les écoles de France sont fermées. Les salles doivent servir pour les besoins présents.

10.06.1940 : Nous recevons la triste nouvelle que notre filleul de guerre, Maurice Fèvre, est tombé sur le champ de bataille. C'est son sergent qui nous avertit de cette perte et fait en même temps les éloges au cher disparu.

16.06.1940 : A six heures du soir, après l'office à la Chapelle, les fidèles quittent paisiblement le saint lieu. Soudain des avions allemands planent au-dessus d'eux, dans toutes les directions, répandant la terreur partout. Les gens se sauvent dans les maisons ou regagnent encore la Chapelle. Ils prient avec confiance, la Sainte Vierge nous protège, les engins meurtriers s'éloignent et bombardent Turckheim pour la 2e fois. Les dégâts ne sont pas considérables. Au premier bombardement, le 5 juin, une fillette de 13 ans est gravement blessée et expire le lendemain, regrettée et pleurée de toute la commune.

17.06.1940 : Des canonnades ininterrompues retentissent nuit et jour au Rhin, surtout près de Marckolsheim et Neuf-Brisach. Des troupes allemandes entrent en Alsace après avoir détruit la ligne Maginot près de Marckolsheim.

18.06.1940 : Une division entière traverse notre village pour passer le col de la Schlucht. Les soldats (allemands) se précipitent sur les magasins et achètent n'importe quels articles. A Wihr-au-Val, quelques soldats français leur résistent par des coups de mitrailleuses ; aussitôt trois canons allemands se mettent en fonction et détruisent ce beau village vosgien presque entièrement. Les habitants terrifiés se réfugient dans les forêts.

21.06.1940 : Des camions chargés de prisonniers français passent la grand'rue avec une rapidité vertigineuse.

23.06.1940 : Des masses de prisonniers, en uniforme kaki, les uns à pieds, les autres serrés dans des camions, se dirigent vers Colmar. Les habitants leur donnent du pain, du vin, du café et toutes sortes de provisions qui sont payées par des remerciements chaleureux.

10.07.1940 : Un grand drapeau Hitler est hissé sur la gendarmerie occupée par les Allemands, un plus petit flotte sur la maison de Mr le docteur Oppenheimer où s'est installée la police.

17.07.1940 : Les Israélites sont sommés de quitter Wintzenheim sans retard. Un soldat allemand, la baïonnette au fusil, se tient devant leur domicile. Munis de paquets et de valises, ils se rendent à la synagogue qui est le lieu de rassemblement. Quel spectacle navrant ! Bien des habitants de Wintzenheim, profondément émus, sont présents à l'heure du départ. Des camions militaires emportent les pauvres exilés dans un camp, à Besançon.

26.07.1940 : Les familles d'origine française (de vieille France), habitant Wintzenheim et les villages du canton, sont obligées de se rassembler dans la cour d'école. Chargés de bagages pesants, hommes, femmes et enfants attendent l'arrivée des autocars. Vers midi, ces derniers emportent les voyageurs émus en France.

05.08.1940 : La première conférence pédagogique nommée "Dienstappel" a lieu à Colmar. Oberschulrat Gärtner relève avec enthousiasme le Nationalsozialismus dans le Reich et parle des devoirs qui incombent aux instituteurs et institutrices soumis à ce régime.

12.08.1940 : Le peintre, Mr Jenny, est chargé de rafraîchir la 2e et la 3e classe ainsi que le corridor.

04.09.1940 : Toutes les sœurs institutrices de notre Congrégation sont alarmées d'être exclues du deuxième "Dienstappel" ; on appréhende des desseins préjudiciaux. Par prudence, nos supérieures donnent l'ordre aux sœurs de trouver un logement privé en cas d'évacuation forcée de la maison d'école.

15.09.1940 : Herr Oberschulrat Gärtner fait parvenir l'acte de la déposition de leur charge à toutes les religieuses enseignantes permettant toutefois de séjourner encore dans leur demeure durant trois mois. Cependant, les sœurs déménagent sans retard dans une modeste maison, Hüttenweg Nr 12. Les fillettes se prêtent de grand cœur pour hâter ce travail.

La maison du Huttenweg Nr 12, actuellement 8 rue Poincaré, où les Sœurs enseignantes ont logé durant les années de guerre (photo Guy Frank, 24 août 2005)

27.09.1940 : Dans le mur mitoyen séparant les deux cours (d'école) est pratiquée une ouverture pour faciliter la circulation des maîtres et des élèves.

07.09.1941 : La paroisse organise une touchante fête d'adieu à Mr le Chanoine Joseph Rey, curé de Wintzenheim, qui se dispose à prendre sa retraite. Sous la sage direction du Rév. Père Kretz, son dévoué vicaire, tout réussit à merveille. Grands et petits se rassemblent, à six heures du soir, sur la place de l'église. Pendant que les cloches carillonnent à toute volée, Mr le Curé accompagné du Conseil de fabrique, est conduit en procession au sanctuaire. Au-dessus du grand portail on peut lire la belle inscription : Wir danken unserem Hirten ! - Unser Dank ist unser Gebet. - Dans son sermon émouvant et impressionnant, le prédicateur relève les œuvres et les mérites du vénérable pasteur. En forme dialoguée, vicaire et enfants expriment au nom des paroissiens leur plus vive reconnaissance. Plusieurs servants de messe lui offrent en souvenir des paroissiens reconnaissants un beau crucifix, quatre chandeliers, un Missel et un album contenant diverses photos de l'église, celles des enfants de chœur, des chantres, des derniers vicaires, d'anciens collaborateurs et collaboratrices, du cimetière, etc... Mr le Curé est très surpris et profondément touché. Ses paroles paternelles sont entrecoupées de larmes. La cérémonie se clôt par un salut solennel.

05.10.1941 : Monseigneur Douvier honore notre paroisse par sa digne présence pour installer Mr Joseph Ries, le nouveau curé de Wintzenheim. Melle Kleim M. Madeleine récite le compliment d'occasion et présente les clefs. Elle est entourée de deux fillettes qui portent de magnifiques gerbes de fleurs.

04.10.1941 : Sœur Annaïse quitte notre poste pour se rendre à Ribeauvillé. Elle est occupée à la ferme du couvent et y restera sans doute jusqu'à la fin de la guerre.

07.11.1941 : Nos vénérées Supérieures appellent Sr Gustava au couvent. Après un séjour de quelques jours à Ribeauvillé, elle reçoit l'ordre d'aller à Haguenau dans un lazaret pour s'y rendre utile dans les différents travaux de cuisine. Maintenant notre communauté s'est réduite à quatre sœurs qui gagnent leur vie en cousant et en tricotant.

Ainsi s'achève le récit du début de la Seconde Guerre Mondiale.
La chronique s'interrompt le 7 novembre 1941 pour ne reprendre qu'après la Libération de Wintzenheim.

02.02.1945 : A cette date l'armée française libère Wintzenheim en même temps que Colmar. Dès le début de mars, notre communauté se reconstitue.

11.03.1945 : Sr M. Virgile revient de Strasbourg où elle était occupée au service des malades et Sr Émile Joseph est également nommée pour Wintzenheim. Quinze jours durant elles reçoivent l'hospitalité à l'Hôpital civil en attendant qu'elles aménagent la Crèche qui doit leur servir de logement.

09.04.1945 : Sr Mathienne qui a passé les années de la guerre au Couvent arrive pour la classe du cours préparatoire.

09.04.1945 : Réouverture des classes : Sr M. Virgile 1ère classe, Sr E. Joseph 2e classe, Melle Stahl 3e classe, Sr Mathienne 4e classe.

Les Sœurs enseignantes participent au défilé du 14 juillet 1945 (collection Gaby Jeckert)

Wintzenheim fête la Libération, les enfants d'école prennent part au cortège, le personnel enseignant y participe également. C'est le point de départ d'une nouvelle ère scolaire. En classe maîtresses et élèves se mettent avec ardeur à l'ouvrage essayant de rattraper le temps perdu. On prolonge ce premier trimestre jusqu'au 1er août, on interrompt les classes quatre semaines pour reprendre de plus bel le 2 septembre. A cette date Mlle Stahl est remplacée par Sr Baptista et Sr Émile Joseph par Sr Agathine. La montée des élèves ne se fera qu'en octobre où les classes semblent se régulariser... La première année scolaire est couronnée de succès puisque 4 élèves du C.E.P. réussissent à l'examen.

Et la chronique se poursuit ainsi, jusqu'en 2002. Trois ans plus tard, en septembre 2005, les dernières Sœurs de la Divine Providence quittent Wintzenheim définitivement. Un hommage chaleureux leur a été rendu par la Paroisse le 7 août 2005, à l'occasion de la fête patronale. L'histoire de cette communauté, présente à Wintzenheim depuis deux siècles, a été retracée par Guy Frank dans une exposition et un tiré à part du Bulletin paroissial "Contact" d'août 2005.

Source : Chronique de l'École de Filles de Wintzenheim de 1913 à 2002


Copyright SHW 2015 - Webmaster Guy Frank

E-mail
contact@knarf.info

Retour au Menu
WINTZENHEIM.SOEURS

Société d'Histoire de Wintzenheim
www.shw.fr